A vos mouchoirs !
« Qui reste au coin du feu quand la lutte commence, et laisse d’autres défendre sa cause, qu’il prenne garde, car s’il n’a pas pris part à la lutte, il partagera la défaite. Il n’échappera même pas à la lutte en voulant l’éviter, car luttera pour la cause ennemie, celui qui n’a pas lutté pour la sienne. » [Bertolt Brecht]
Mes amis, à l’aide ! Des centaines de nos concitoyens se sont fait physiquement violentés d’une manière des plus barbares, et par les forces de l’ordre censés veiller à notre protection. Des centaines de nos concitoyens s’en réjouissent et la grande majorité se languie dans son indifférence.. Comment en sommes-nous arrivés là ? Nous qui nous nous prenions dans les bras à chaque record mondial battu par Hicham sur les pistes de course, à chaque but marqué par nos Lions. Nos mets traditionnels n’ont de saveur que quand on les partage dans un seul plat... Mais n’y a-t-il que le sport et la gastronomie qui nous rassemblent? Le tourment de cette interrogation ne s’éponge guère dans des réponses immédiates. Il nous faut nous assoir et réfléchir. Parce qu’il nous faut nous réconcilier.
Les événements sanglants de ces deux derniers dimanches ainsi que la répression sauvage des médecins devant le ministère de la Santé, sont de ces tournants qui coupent la vie en deux, délimitant un avant et un après, sans suture, telle une plaie béante. Le Maroc s’embarque sur une route qui n’apparait sur aucune carte. Aucune boule de cristal ni aucun poulpe ne pourra prédire ce qui nous y attend.
Mes amis, que nous est-il arrivé ? Où est passé notre bon sens ? Que nous ne partagions pas la même vision du changement et le même projet de société est une chose - cette fracture est même salutaire, indispensable et un signe de bonne santé démocratique, mais de là à nous haïr au point que certains s’enorgueillissent de voir leurs concitoyens crouler sous les coups d’un Makhzen déchainé ou en arriver jusqu’à justifier cette barbarie - rendant des manifestants pacifistes responsables de leurs malheurs, est une défaite et une honte nationales.
Mes amis, Voltaire disait à son contradicteur « Je n’aime pas ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez continuer à le dire ». Hélas, en participant aux manifestations de ce triste mois de Mai, j’ai eu l’impression qu’une partie de mes compatriotes, en incitant les agents de police à me violenter, me rétorquaient « On n’aime pas ce que vous dites, et on vous souhaite la prison, la torture et la mort pour que vous ne puissiez plus continuer à le dire ». Que l’ont soit avec ou contre le mouvement du 20 février, il est hors de question qu’un marocain soucieux de l’avenir démocratique de son pays, accepte l’usage d’une telle violence à l’encontre de ses concitoyens dans le but de les faire taire.
Les événements troublants qui secouent nos rues dernièrement seraient-ils les ondes du terrible tremblement de terre annoncé par tous les sismographes sociaux ? Serait-ce les prémisses d’un cataclysme ? Je ne pense pas. Ce dont on est sûr c’est qu’il est temps pour tous les marchands de rêve, qui faisaient de la stabilité du Royaume leur fond de commerce, d’ouvrir les yeux sur la multitude des plaques tectoniques sur lesquelles repose notre sol chérifien.
On parle de plus en plus de radicalisation de la rue après les effusions de sang du dimanche dernier. Ce n’est pas faux, mais la radicalisation est bipartite : Il y a une partie des manifestants qui souhaite désormais élever le seuil des revendications et commence à pointer du doigt la monarchie, mais il y a une autre radicalisation tout aussi grave : une partie des citoyens, non hostile au changement à la base, se radicalise en refusant désormais d’y contribuer, à cause de certains préjugés sur le mouvement du 20 février ou quelques un de ses membres. Les deux radicalisations se nourrissent l’une de l’autre : la surenchère des revendications irrite les conservateurs, et la sclérose des royalistes enrage les progressistes; et chacun campe dans son ghetto. Cela ne fait que fragiliser la cohésion sociale, indispensable à la création d’un contre-pouvoir, seul garant d’une réelle avancée démocratique.
Nous allons vers le chaos, c’est le constat des 2 pôles. Et chacun cherche à faire endosser la responsabilité à son frondeur. « On vous avait prévenu ! » lancent les messies toujours dans leur nuage du Maroc des prospérités. « On vous l’avait dit ! » préviennent les révoltés qui tombent du nuage de leur chimérique représentativité. Combat de coqs rendant tout dialogue impossible. Vous êtes tombés bien bas mes amis, pour qu’un autiste de ma trempe vous donne des leçons de communication !
Mes amis l’heure est à la réconciliation. Le Maroc va mal, le diagnostic est consensuel, mais les manières d’y remédier ne le sont pas. Que nous ne partagions pas la même réponse à la question du Comment fait de nous des adversaires, mais pas des ennemis.
Nos ennemis sont communs. Ce sont les ennemis du Maroc : ceux à qui le gout du pain a fait oublier celui de la dignité. Ceux qui défendent le statu quo parce que leurs intérêts personnels s’évaporeront si un Etat de Droit est institutionnalisé au sein du Royaume. Ceux qui n’ont de solution aux problèmes pointés du doigt par le mouvement du 20 février que de couper ce doigt. Tous ceux là qui continuent à nous chanter ce même disque raillé « le Maroc est sur les rails du développement » alors que chaque jour ses jeunes prennent les voiles !
Nous devons nous unir contre ceux là. Nous devons reprendre le Maroc d’entre les mains de ces mafieux qui nous ont imposé une économie néolibérale féroce, qui n’investissent que dans les domaines qui leurs sont rentables, délaissant les secteurs non lucratifs mais vitaux comme la santé et l’éducation. Ces mêmes secteurs abandonnés pour devenir tellement crasseux qu’on ne refusera pas leur prochaine privatisation. Privatisation qui ne profitera encore qu’aux mêmes joufflus. Le salut des couches les plus défavorisées, exclues des retombées de notre économie, viendra du secteur informel, non taxé par l’Etat : le tiroir entrouvert du fonctionnaire qui permet d’accélérer toutes les démarches administratives ; la bravoure de nos Robin(e)s des bois nationales, qui prennent aux riches saoudiens pour donner à leurs pauvres familles, et le commerce d’une certaine plante verte étoilée qui pousse généreusement dans nos provinces du Nord, vendues par les pauvres paumés d’en bas aux gosses pourris d’en haut qui optent pour la phytothérapie afin d’oublier le malaise de ne manquer de rien.
Ainsi le Maroc d’aujourd’hui se retrouve contaminé par les mêmes tares qui empoisonnent le monde moderne du fait de son annexion par le Capital (matérialisme, individualisme..) mais sans le moindre amortisseur : sécurité sociale, assurance maladie, hôpitaux et écoles de qualité, indemnités sociales.. Les acquis sociaux en matière d’éducation et de santé dans les pays développés ayant été littéralement « arrachés » aux oligarchies en place à coup de soulèvements le plus souvent violents, on comprend pourquoi nos médecins ont goutté à la matraque lorsqu’ils ont réclamé une réforme du secteur médical. Détrompez-vous si vous pensiez que le Makhzen assomme les jeunes du 20 février parce qu’ils sont salafo-athées : Toute personne qui osera réclamer une plus juste répartition des richesses ou contester les privilèges que la caste au Pouvoir s’approprie sur la sueur des marocains s’attirera ses foudres et gouttera à sa hache de guerre. Et ceux qui laisseront faire auront la bénédiction des maitres, wakha ykounou ka y3bdou lfegouss !
C’est dans ce film macabre, digne successeur de « la République de Salo" de Paolo Pasolini, que sont condamnés les marocains à leur rôle de figurants. Car si l'étranger - en villégiature dans le pays qui lui offre jusqu’à ses enfants tant qu’il a de quoi payer - est tellement bien accueilli au Maroc qu’il s’y sent chez lui; pour le marocain, le Maroc est plutôt une maison d’hôtes où il n’est que convié. Dans son pays, il se sent étranger; l’eternel invité; l’intrus qui essaye de ne pas se faire remarquer, sous peine d’être chassé. Ces moindres faits et gestes doivent être calculés pour ne pas déranger les propriétaires des lieux. Alors il se fait discret, feint la satiété à chacune des miettes qu’on lui jette et passe son temps à remercier Dieu pour ses hôtes et ses hôtes pour leur hospitalité. Oser la critique ou la revendication face à leur élan de bonté ne peut être que scandale et ingratitude. Vu qu’il n’a pas son mot à dire sur les décisions prises, même quand elles le concernent, puisqu’il n’est que le convive.
60 ans que le marocain a la turista.. il est temps qu’il se réapproprie son pays, au risque que cela dérange la confortable homéostasie de ceux d’en haut. Ici c’est chez nous ! Et nous avons donc notre mot à dire dans la gestion de nos affaires.
Mes amis, je ne veux plus parlementer autour de mouvements et de contre-mouvements qui portent comme nom des dates de calendrier, je veux que l’on débatte désormais d’idées. Je veux qu’on parle du Maroc de demain ! Il ne faut plus qu’on se voile la face, autant le changement est possible, autant on ne change pas une société en un weekend avec un « Yes, we can !». Pas même une nouvelle Constitution ne fera tout le travail à notre place. Nous avons du pain sur la planche. Et nous avons besoin que chacun retrousse ses manches. Il nous faut donc nous accepter, arrêter de spéculer sur la marocanité de chacun, dès qu’il ne partage pas notre opinion où qu’il a une autre conception du militantisme. Ce que je vois en toile de fond, derrière ce soulèvement social que connait le Maroc, c’est la volonté de toutes les composantes de la société de s’impliquer dorénavant dans l’œuvre de demain.
Il n’est pas question de revenir en arrière et de rejoindre nos anciens campements. Cet élan démocratique n’était pas une récréation pour que le Makhzen sonne sa fin à coup de matraques et nous ordonne de retrouver nos classes où l’on pratique l’élevage de moutons passifs qui ne cherchent qu’à s’engraisser. Avec comme bergers quelques « guides » autoproclamés, qui savent à eux seuls ce qui est bon pour tous. Quel crime ont commis les marocains pour mériter pareille punition collective ?
Mes amis, l’heure est à la réconciliation. Et c’est au mouvement du 20 février de faire le premier pas : rappeler sa principale revendication inchangée, la monarchie parlementaire, ni plus ni moins, et apostropher les mouvances qui répondent aux appels à manifester pour qu’elles s’y tiennent. En d’autres termes : si « Al Adl wl Ihssane » ont des revendications autres, antimonarchiques, qu’ils organisent leurs propres manifestations à part ! Ceci doit être la première initiative en vue d’une réconciliation nationale, indispensable pour créer un contrepoids citoyen sur l’Etat. Pour exiger que ceux qui détiennent le Pouvoir dans nos institutions politiques, judiciaires, policières.. prennent leurs responsabilités devant le peuple. Pour exiger la transparence dans la gestion des affaires publiques. Pour protéger les richesses de notre pays de toute dilapidation, détournement ou monopolisation et nettoyer la scène politique et administrative du népotisme qui la ronge. Pour en finir avec l’impunité des responsables. Pour remplacer cette classe politique fossilisée, incompétente et ulcérée qui a du mal à convaincre avec ses quelques réformettes, par une nouvelle élite politique capable de séduire l’électorat et non l’acheter. Pour en finir avec les programmes ronflants, les stratégies quinquennales et les « visions à dix ans » et toutes ces promesses qui n’ont été suivies que de détournements de fonds : quelle crédibilité reste-t-il à un Etat dont les caisses étaient déjà qualifiées de vides hier mais qui a tout de même su trouver en urgence, dans une tentative désespérée, des fonds pour calmer les foules?
Il n’est plus question de tergiverser aujourd’hui et les marocains n’accepteront aucun lifting ou autre cosmétique de surface en guise de réformes. Lekhnouna pend au nez du Système depuis trop longtemps, aucun 3ker ne pourra plus faire l’affaire, et le peuple veut désormais y passer un violent coup de mouchoir !
A vos mouchoirs !