la Constitution est-elle "octroyée" ?

Publié le par L'éLément N

place-des-citoyens.jpgCeux qui appellent à une Assemblée Constituante ignorent surement que cette dernière a pour rôle de donner une nouvelle Constitution à un pays où le Régime a été destitué, ou au mieux quand ce dernier est en péril (guerre civile, invasion..) ou en rupture (coup d’Etat..). Dans le cadre d’une réforme, comme c’est le cas chez nous, c’est une commission qui est soit nommée soit votée qui s’en charge; et les 2 sont démocratiques comme nous allons le voir.


Dans le cadre d’une démocratie représentative, il existe un principe démocratique simple : le peuple va choisir parmi les candidats qui se présentent, des représentants en qui il se retrouve et qu’il juge donc aptes à le « représenter ». C’est une sorte de procuration. Ensuite, les lois que vont décréter ces délégués ne peuvent pas être soumises à un référendum populaire, puisque ceux qui les ont promulgué ont eu l’accréditation et la confiance de la majorité du peuple pour mener cette tâche. Le double vote ou le « contre-vote » discrédite le principe de représentativité. Par ce mode d’expression (l’élection de représentants) les électeurs sont les auteurs des lois en vigueur. Et les auteurs (même indirects) de lois sont moralement contraints de s’y tenir.


La deuxième option est de désigner une commission qui devra présenter un « projet ». Comme le peuple n’a pas été sollicité dans le choix des membres de cette commission, il devra s’exprimer sur le travail de cette dernière, par le biais d’un référendum populaire.


En démocratie représentative, on ne peut voter indéfiniment avant et après un même projet. Soit que l’on vote des représentants dont le travail est directement mis en pratique, soit l’on vote pour juger le travail d’une commission désignée. Tant que le peuple est consulté (pour désigner la commission ou juger son travail) et sa volonté respectée, nous sommes en démocratie.


Personnellement je préfère juger un travail plutôt qu’élire ses protagonistes. Surtout que chez nous, il n’y a pas foule en matière de représentants. Et les rares qui existent ne sont pas connus par l’écrasante majorité des marocains. De plus, le fait d’opter pour le vote d’une commission d’une si grande importance peut élire des personnes qui jouissent d’une grande sympathie populaire, mais qui n’ont pas la qualification nécessaire pour rédiger un texte aussi technique. Sans oublier la possibilité que certains opportunistes y mettent le prix, comme c’est monnaie courante lors des législatives, et on se retrouvera avec une assemblée d’incompétents et de corrompus chargés d’offrir aux marocains le texte fondamental qui organisera les pouvoirs publics et garantira leurs droits ! Et pour rester dans le délire, même élus par le peuple, quelles garanties qu’ils ne seront pas tentés de faire plaisir au Roi, comme toute la classe politique marocaine contrainte au béni-oui-ouisme devant ce soit disant « monarque absolu » (pour reprendre le terme préféré de Benchemsi)?


Le choix d’une commission désignée par le Roi, sur avis de ses conseillers, dont le travail sera proposé au vote des marocains me paraît être un choix plus adapté à notre crise actuelle de crédibilité et de confiance politique. Et puisque le dernier mot reviendra au peuple, cette option n’est pas moins démocratique que la première. Certes l’Etat n’a pas opté pour ce choix par soucis démocratique, mais parce qu’il fallait faire vite et annoncer le début des réformes vu le vent de jasmin qu’ont un peu trop reniflé jusqu’à l’ivresse certains leaders du M20F, capables désormais de mobiliser des milliers de marocains. L’organisation d’un vote et de sa campagne pour une assemblée qui se chargera de la rédaction constitutionnelle allait prendre beaucoup de temps. Soit ! En politique, les finalités importent plus que les intentions. Il nous faut juger le travail.


Ensuite, il faut avouer que cette commission a été à la hauteur de sa tâche. Déjà elle a eu une démarche participative, vu qu’elle a auditionné les partis politiques, les forces syndicales, les associations et les organisations de la société civile, ainsi qu’un bon nombre de jeunes blogueurs marocains dont les écrits s’intéressaient à la chose publique marocaine. Ils auraient reçu plus de 180 mémorandums portant les revendications de marocains dans toute leur pluralité. Et il suffit de jeter un coup d’œil sur les mémorandums soumis par les partis politiques pour se rendre compte que la commission est allée plus loin et qu’elle a été plus représentative des aspirations démocratiques des marocains que leurs représentants officiels. Voilà pourquoi je regrette la décision du M20F et de l’AMDH d’y participer, je pense que la commission serait allée encore plus loin si ces militants bien dans leurs bottes et ayant la rue derrière eux, avaient accepté d’avoir une démarche participative.

 

Ceux qui reprochent à la commission d’avoir uniquement reçu les doléances des acteurs politiques sans les avoir fait participer à la rédaction du texte n’ont peut être jamais été amenés à rédiger un texte en groupe. La consultation a intérêt à être la plus large possible, mais pour le bien du texte, la rédaction se doit d’être limitée à un nombre restreint de personnes, on ne peut être 200 individualités à écrire un seul texte. Il n’y aura jamais consensus.


Ce débat sur la méthodologie mis de coté, il ne faut pas oublier que c’est la finalité qui compte, c'est-à-dire le contenu du texte ; peu importe son auteur. Répond-il aux aspirations populaires ? Il faut juger le texte pour ce qu’il offre et non pas le rejeter d’office parce que l’auteur n’est pas à notre gout. Pour le petit exemple historique, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, qui est un texte d’une haute qualité démocratique a été rédigé par un comité de rédaction désigné. Et dont faisait partie Stéphane Hessel, auteur du très vendu « Indignez-vous !» dont se réclament beaucoup de jeunes rebelles militants, qui semblent avoir oublié qu’il a écrit juste après « Engagez-vous ! »..


Et pour finir, et avant de vous donnez rdv pour une analyse du contenu de ce projet constitutionnel, je vous rappelle que le vote du vendredi prochain concerne uniquement le texte de la Constitution, si oui ou non vous voulez que cet écrit remplace celui de 1996. On ne vous demande pas de voter pour ou contre les agissements récents d’un Makhzen qui a du mal à se débarrasser de ces vieilles habitudes despotiques. Si dans le nouveau projet, vous jugez qu’il existe des outils pour justement réformer ce makhzen, voter Oui c’est voter contre ses procédés. Ne faites pas d’amalgames et de raccourcis faciles, jugez le texte. Le référendum n’est pas un règlement de comptes, c’est un comptage qui cherche à sonder l’avis des citoyens. Boycotter veut dire ne pas donner son avis. C’est démissioner de son métier de citoyen. Manifester à un moment n’est plus suffisant, ça ne nécessite que de bonnes semelles et de la salive. S’engager en démocratie par contre requiert un bagage politique qui fait gravement défaut au sein de notre jeunesse, même chez les manifestants les plus chevronnés. Ce n'est pas révolution qui est noble en elle même, mais ce qu'elle revendique.. Sinon d’autre part, il est légitime de s’inquiéter pour la transparence de ce vote ; mais soyez sûrs que s’il y a fraude, nous nous lèverons tous pour la dénoncer. Mais svp, avant de vous enorgueillir d'être libre de choisir, réclamez d'être libres de penser. Et ne vous faites pas avoir par ceux qui considèrent qu'un électeur de gagné vaut mieux qu'un citoyen de perdu.


Le dernier mot vous appartient, mais en politique, comme en nourriture, si nous n’aimez pas, vous avez le droit de le dire, mais n’en dégoutez pas les autres.

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N
<br /> <br /> bel article<br /> <br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br />       Merci pour tes 2 derniers articles, toujours perspicace!<br /> <br /> <br /> J'aurais cependant un petit bémol!Est-ce qu'on peut réellement parler de démocratie?Sur la forme,oui probablement comme tu l'as si bien expliqué.Mais sur le fond,j'ai des doutes,surtout quand je<br /> vois que le "Oui" a été obtenu à 98% (Voyons donc!!!).<br /> <br /> <br /> D'après moi,si les gens ne vont pas voter,c'est d'abord parcequ'ils n'ont aucune confiance en la légitimité des votes.Et c'est là tout le problème!<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> I like :)<br /> <br /> <br /> <br />
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