Aujourd'hui, le 20 Mars
Et que penses-tu de l’initiative de création du Conseil économique et politique ?
Déjà il ne s’agit pas là d’une initiative récente. Ce conseil est un projet de la Constitution de 1992 dont on en a réentendu parlé en 2008. Ensuite ce conseil est consultatif, c’est-à-dire que son rôle se limite à donner son avis sur les propositions de lois, projets et autres décisions gouvernementales ou parlementaires - sachant que ni l’un ni l’autre n’a le pouvoir de faire passer une loi sans décret royal. Sans oublier que nos ministres inutiles ont assez de consultants, payés avec nos impôts, pour former chacun une équipe de rugby ! D’autant plus que la Constitution avait déjà son conseil supérieur de la promotion nationale et du plan qui a la même fonction, comment et surtout pourquoi ces 2 conseils vont coexister ? Il faut également signaler que certaines prérogatives de ce conseil vont empiéter sur celles d’autres conseils préexistants comme le Conseil supérieur de l’enseignement, le Conseil supérieur de la promotion rurale, le Conseil national de la jeunesse et de l’avenir.. Nous avons assez de conseils consultatifs qui, l’expérience le prouve, n’ont rien apporté de concret depuis leur création, alors à quoi un de plus ?
En gros ce conseil c’est 100 salaires supplémentaires sur le dos du contribuable au profit des mêmes têtes, soit disant bien faites et qui occupent déjà une fonction pour laquelle ils touchent un salaire, afin qu’ils donnent leur avis d’experts à un parlement et un gouvernement manchots. Ce n’est qu’un conseil oisif de plus pour engraisser les gros.
Avant de créer de nouvelles institutions, occupons nous déjà de celles qui existent et de leurs réformes : le parlement et le gouvernement. Ce conseil n’est qu’un fardeau affligeant de plus pour les caisses de l’Etat et j’espère qu’il disparaitra avec la nouvelle Constitution.
Pourtant il compte des personnalités courageuses et patriotes ! Plusieurs n’ont pas fait le baisemain à Sa Majesté mais l’ont salué d’une poignée de main !! C’est tout de même une forme de servitude dont on s’est débarrassé et un grand pas vers la démocratie !
Décidemment, quelle piètre idée de la démocratie et du patriotisme.. Ça se résumerait à qui fait ou ne fait pas la courbette devant le monarque ?
Avant de jubiler devant l’acte de « bravoure » de Nabil Ayouche & Co, tu devrais plutôt te demander quels changements sérieux ces clowns comptent apporter en dehors de ce geste « héroïque » à la Spartacus. Ils ont encore la bouche pleine et acceptent de prendre part au nouveau festin oligarchique. La véritable bravoure aurait été d’opter pour le carême en refusant l’invitation.
Comme disent nos voisins algériens « lewje3 f rass wl kiy fl messata » (traduction littérale : la douleur est dans la tête et le point de feu sur la fesse). Le problème et la vérité sont ailleurs.
Le baisemain royal est culturel au Maroc, ce n’est nullement la manifestation d’une quelconque servitude. Certains le font d’autres s’en abstiennent, les premiers ne sont pas des esclaves pour si peu et les seconds ne sont pas des héros pour autant. Au Japon, le peuple et le premier ministre s’inclinent devant l’empereur. Les japonais ne sont pas pour autant les esclaves ou les serviteurs de l’Empereur : le Japon est une monarchie parlementaire où règne une démocratie des plus légendaires. La modernité, les droits fondamentaux et la démocratie ne les ont pas empêchés de conserver un lien très fort avec leurs traditions ancestrales. Obama lors de sa dernière visite au Japon s’est incliné pour saluer l’empereur, en respect des coutumes locales. Tout comme Chirac faisait la bise aux dirigeants arabes. Personne n’est allé traité Barack d’esclave ou Jacques d’homosexuel. Il s’agit là de traditions spécifiques à chaque culture qu’il importe à tous de respecter.
Le baisemain royal symbolise l’attachement et le respect du peuple marocain à sa tradition monarchique, je n’y vois donc aucun problème. La preuve qu’il concerne l’institution monarchique et non la personne du Roi est que le baisemain n’est pas fait à Moulay Rachid, mais exclusivement au Roi. Il ne symbolise donc pas la soumission des marocains à la famille alaouite comme prétendent nos amis de la Justice et Bienfaisance (qui devraient au passage faire l’autocritique du baisemain institutionnel au Cheikh Yassine et à leurs « Sidi » et « lalla » qu’ils vouent aux membres de sa famille). J’ai plus de problèmes avec ceux qui baissent leur pantalon pour récolter quelques miettes qu’avec ceux qui font le baisemain.
Ceux qui voient en l’initiative de ces quelques membres du nouveau Conseil (qui n’est pas la leur puisque beaucoup de politiciens s’y refusaient depuis Hassan II), un signe d’avancée historique du Maroc vers la démocratie n’ont absolument rien compris à la démocratie. Moi j’embrasserai les mains et même les pieds du souverain, ça ne me causerait aucun problème si cela est la tradition de mon pays, mais ce n’est pas pour autant que je cesserai de me battre pour la liberté, la dignité et la justice. Et quand le Maroc sera une démocratie en bonne et due forme, conserver ce geste qui nous lie à notre Histoire ne sera que la preuve de notre maturité politique : Nul besoin de détruire le passé pour construire l’avenir.
En parlant des décisions politiques, tu as entendu le discours royal du 9 Mars ? Le Roi a écouté son peuple, tout a été dit !
Oui je l’ai écouté. Le moins que l’on puisse dire c’est que c’est un discours courageux. Le Roi a pris de vitesse le gouvernement et les partis à un moment où tous les signaux sociaux sont passés à l’orange. Il a évité au Maroc de se transformer en Sidi Bouzid. On n’en attendait pas moins de notre jeune monarque qui a fait le choix de la modernité avant même son intronisation. Il a su se montrer audacieux. On peut également dire qu’il est historique, non dans ses promesses, mais par le fait que c’est la première fois que la monarchie cède à une pression populaire.
Par contre, ceux qui ont vu dans ce discours une concrétisation quelconque de la démocratie et qui en arrivent par là à conclure que les manifestations n’ont plus lieu d’être en sont très probablement à leur premier discours royal. Mais c’est déjà cela de gagné qu’ils commencent à s’intéresser aux affaires politiques de leur pays.
Au risque de passer encore pour l’éternel insatisfait qui ne souhaite que jouer les contestataires, j’aimerai préciser que si (presque) tout a été dit, tout reste à faire et c’est ce qu’il ne faut pas perdre de vue.
Ceux qui ont l’optimisme de Marie Antoinette ont tort, preuve en est la circulaire du Ministère de l’intérieur, qui fait suite au discours royal, interdisant toute manifestation publique. Les interventions musclées des forces de l’ordre à Casablanca le 13 mars dernier donnent à réfléchir : le discours royal était il sincère ou visait il uniquement à calmer les ardeurs en repoussant les deadlines de manière à essouffler les manifestants ? Tout porte à croire à cette dernière option, sinon supposer qu’il eut été sincère porterait à estimer qu’un ministre marocain puisse prendre l’initiative d’aller à l’encontre des promesses royales sans l’accord préalable du souverain.
Et ceux qui sont pessimistes ont également tort parce que le Maroc a pris un tournant irréversible, nous avons dépassé le point de non-retour. D’où le dilemme du Pouvoir : l’exemple tunisien et égyptien encore frais sur les rétines, il a été décidé d’encadrer les manifestations du 20 février plutôt que de les réprimer pour éviter qu’elles ne dégénèrent en révolution. Ceci a eu pour effet une prise de confiance du coté des manifestants qui ont vu leur nombre augmenter car même les plus sceptiques ont commencé à laisser la peur à la maison pour rejoindre les sit-in et les marches. L’intervention royale était en ce sens indispensable pour essayer de ralentir la cadence des revendications. Et puisque les coups du Makhzen avaient semble-t-il cicatrisé au point que le marocain osait s’exprimer librement sans crainte, il fallait réveiller en lui le souvenir de la douleur pour le décourager, d’où le retour à la répression qui a suivi le discours. Cette correction était en effet nécessaire car elle visait à redonner la mémoire à ceux qui l’avaient oubliée dans l’espoir d’être dissuasif. Car des manifestations d’envergure sont prévues pour le 20 mars prochain. Le dilemme se complique : ces répressions ont ouvert les yeux à une partie des jeunes qui voyaient en le discours de leur roi le Happy End des revendications du 20 février. Mais c’est le beau conte de fées de l’exception marocaine qui prend tragiquement fin. Du coup les manifestants ont gagné en crédibilité.
L’Etat a joué toutes ses cartes habituelles (l’indifférence, la propagande, la répression..) mais ne semble plus détenir la moindre option qui lui permettrait de ne pas céder à la pression démocratique. S’il opte pour la répression le 20 mars prochain, le toit des revendications risque de grimper de quelques étages jusqu’à inquiéter la prétendue unanimité sur la question monarchique au Maroc : Les manifestations ne se feront plus devant le Parlement mais devant le Palais. Par contre, s’il choisit l’option de l’encadrement (dont il a fait les frais le 20 février), la pression de la rue augmentera de façon exponentielle et la monarchie devra encore lâcher du lest.
Le Maroc a bel et bien dépassé le point de non-retour, il marche fermement vers le changement. Lequel ? La balle est dans le camp de la monarchie. Soit qu’elle décide la transition démocratique, en renonçant au monopole du Pouvoir, soit elle condamne le Maroc à de violentes révoltes.
Et je pense que tous ces délais ont pour but de gagner du temps, pour mieux se repositionner. Les marocains étant divisés entre contestataires et hostiles aux manifestations, l’Etat attend de pouvoir évaluer vers quel coté penche la majorité. En même temps, le Pouvoir observe les voisins du coin de l’œil, principalement la Lybie qui a optée pour l’oppression massive, contrairement à Tunis et le Caire qui ont fini par tomber. Le Maroc attend de voir ce que la solution de la force donnera en Lybie pour décider de se tourner vers la négociation ou plutôt vers l’oppression. J’espère que les conseillers du cabinet royal sauront se montrer sages pour éviter au Maroc un bain de sang inutile.
Il est donc indispensable de continuer les manifestations pacifistes, les jours fériés, pour maintenir la pression sur le Pouvoir et surtout gagner en nombre pour ne plus lui donner le choix : la répression n’est possible que sur les minorités. A mon avis, la grande majorité des marocains ne sort pas manifester par esprit de survie. Il faut donc créer quelques actes de bravoure individuelle, non masqués, qui montrent à ceux qui hésitent encore que cela est bel et bien possible. En les persuadant de rejoindre les rangs, la masse prend de l’ampleur et l’argument arithmétique aura à son tour un effet positif sur les individus. On appelle cela l’effet holistique : l’élément influe sur l’ensemble qui à son tour influe sur l’élément.
Le changement le Maroc y allait certes doucement mais de pas ferme de toute manière ! Le Roi a enclenché le processus depuis plus de 10 ans, je ne pense pas que ces manifestations y soient pour quelque chose !
Je pense tout le contraire comme Aboubakr Jamaï. Je suis convaincu que ces manifestations n’y sont pas juste pour quelque chose mais sont le changement même. Et le palais a eu tort de présenter ses réformes comme émanant de son plein gré, parce qu’il refuse toujours cette interactivité entre la monarchie et le peuple - la seule qui peut encore sauver son trône.
Déjà les hommes ne font le bien que par nécessité, lorsqu’il devient indispensable et jamais de façon physiologique. Il faut contraindre l’homme pour qu’il soit juste. L’absence de contraintes le rend naturellement égoïste et individuel. Pour ne parler que de moi, étant la seule personne que je connaisse suffisamment pour parler en son nom, je n’ose même pas imaginer ce dont je serai capable si j’avais entre les mains le pouvoir absolu et exclusif.
Tout système a besoin de ce que l’on appelle un « contre pouvoir » pour assurer sa stabilité (garantir l’équité et la justice). L’équilibre des forces est indispensable pour la paix, il suffit qu’il soit rompu pour qu’une guerre se déclenche.
A l’échelle d’une société, il faut arriver à ce que l’on pourrait appeler un « équilibre des nuisances » entre le peuple et l’Etat. L’Etat dispose légalement, sur mandat populaire, de la force qui lui permettra de contraindre le peuple à l’union malgré la diversité des intérêts communautaires qui le constitue. Et le peuple doit avoir une capacité de nuisance pour empêcher l’Etat d’exploiter ce pouvoir, légué par le peuple, à des fins qui ne servent pas l’intérêt général. Il est donc salutaire que le Pouvoir craigne le peuple.
L’Etat existe par le peuple mais peut ne plus gouverner pour le peuple. D’où la nécessité d’un contre pouvoir qui garantirai que le Pouvoir serve l’intérêt collectif.
Les jeunes qui sont sortis manifester ont créé un contre-pouvoir, absent jusque là de la scène nationale : le Roi est le seul acteur politique, les médias marocains n’ont pas le droit de critiquer ses choix et les partis politiques ne sont là que pour la vitrine. Le contre-pouvoir créé actuellement au Maroc est la pression démocratique de la rue.
D’ailleurs, il est sidérant de voir que Cicéron est toujours d’actualité. Il avait décrit le cycle naturel que suit tout Pouvoir en 6 phases : La Monarchie puis la Tyrannie puis l’Aristocratie puis l’Oligarchie puis la Démocratie et enfin l’Ochlocratie avant que le cycle ne reprenne.
la Monarchie(1) bascule en Tyrannie(2) vu l’absence d’imputabilité car il n’y a ni mandat de Pouvoir ni élections, à laquelle fait suite l’Aristocratie(3) quand le Pouvoir absolu s’entoure de ces amis du même milieu (les riches), qui se dégrade en Oligarchie(4) quand les plus riches, sous couvert du Pouvoir, ne font plus que s’enrichir sur le dos de l’Etat, puis la démocratie(5) apparait d’un ras-le-bol populaire de voir les richesses concentrées entre si peu de mains ; avant de sombrer dans l’ochlocratie(6) au cas où le Pouvoir refuse de céder, et qui est le pouvoir de la foule (que nos illuminés petits politologues appellent sauvagement démocratie) et qui est le chaos de toute société.
L’ochlocratie c’est le pouvoir entre les mains de la majorité, la masse, la « populace » qui ne connait pas la Raison ou l’intérêt général mais ne reconnait que l’intérêt individuel. C’est pour éviter au Maroc l’évolution vers cette forme là qu’il est dans l’intérêt du Pouvoir de négocier avec les revendications justes et légitimes de l’élite intellectuelle marocaine reprises par le mouvement du 20 février. Parce que la colère de la masse, qui ne profite presque pas des richesses produites et qui est obligée de s’organiser en secteur informel, est sourde et aveugle. Elle risque d’être ravageuse.
A en croire l’anacyclose de Cicéron, le Maroc suit la même évolution. Nous en sommes au peuple opprimé par l’oligarchie qui réclame la démocratie. Nous avons la chance d’avoir l’opportunité de le faire sous couvert de la Monarchie si cette dernière accepte de céder de son pouvoir au peuple.
En optant d’accompagner le changement, la monarchie qui va permettre la continuité de l’Autorité légale, propice à la mise en place de réformes radicales sans passer par le chaos : la chute du Régime, et donc l’absence d’Etat, voit éclore les revendications communautaires qui veulent tout et tout de suite, tellement elles ont été sous l’oppression du système précédent, et Dieu seul sait à quel point notre peuple est hétéroclite. Toutes ces communautés qui étaient unies au début pour faire tomber le régime, se rendent compte qu’elles ne partagent ni les mêmes intérêts ni le même projet d’avenir : unis dans la contestation, opposés dans le dessein. C’est en cela que la conservation de la monarchie est indispensable pour assurer la transition démocratique, car elle permettra la continuité de l’Etat (le Pouvoir) qui se chargera d’organiser les réformes profondes qui profiteront à la fin à toutes les communautés sans que celles-ci ne se chargent de les réaliser elles mêmes, au dépend des autres.
Crois tu que le Maroc deviendra une démocratie comme celles qu’on voit sur les télévisions occidentales ?
L’occident n’est pas un bloc monolithique et n’est pas forcément un modèle à suivre. Nous pouvons trouvez notre propre voie. Le Maroc, comme ses voisins, n’a jamais connu la démocratie, mais son peuple avance surement vers elle, à son rythme et à sa manière. Elle sera la sienne, parce qu’elle aura été produite par lui et pour lui. Le devoir de la monarchie est de respecter la marche de son peuple si elle veut continuer à faire partie de son quotidien et ne pas être relégué aux tiroirs de son Histoire.
Le roi Mohammed VI devra prendra sa décision car le peuple refusera tous les liftings et les maquillages qu’on lui proposera. Il veut des réformes radicales. Le peuple ne veut plus de cet archaïsme paternaliste ; il a même compris que cela ne servait à rien de s’en prendre à la personne des voleurs et des pourris, mais que la solution est de changer l’organisation politique qui a permis leur avènement : la Constitution.
Ni le Roi ni ses protégés ni le gouvernement ni les parlementaires ni les citoyens ne sont à blâmer quand l’eau est souillée à la source : Lorsque la Constitution rend le pouvoir au dessus de toute critique, il ne peut que dévier. Quand la justice n’est pas indépendante, elle ne s’appliquera qu’aux pauvres qui n’échappent jamais aux mailles de son filet, alors que les puissants seront à l’abri des punitions qu’ils méritent. Quand le gouvernement et le parlement n’ont aucun pouvoir, ces postes ne deviennent qu’un moyen de s’en mettre plein les poches. Quand l’entourage du pouvoir se sert du parapluie de la sacralité royale pour faire de l’économie nationale une propriété semi-privée, le secteur informel (drogues, prostitution, corruption, piratage..) ne peut que foisonner. Comment veux-tu qu’avec la fascination pour l’argent facile et la corruption de l’élite politique, qui n’a pas de comptes à rendre, il n’y ait pas une généralisation de ces mauvais comportements à toute la société ?
Tous les acteurs politiques et sociaux nationaux (du Roi jusqu’au chômeur) ne sont que le fruit de cette Constitution féodale et moyenâgeuse.
Et donc la démocratie devra commencer par là : la réforme profonde de la Constitution pour répondre aux attentes légitimes et incontournables du peuple marocain qui a droit à la liberté, la justice, la dignité, l’éducation, la santé et le travail peu importe sa classe sociale. La refonte de la Constitution permettra la construction d’un Etat de droit, où les parents pourront enfin élever correctement leurs enfants, leur apprendre les vertus de l’effort scolaire qui permettra la qualification et cette qualification conduira à un emploi. C’est là le schéma d’une société crédible qui donne à ses citoyens les moyens de mieux la servir.
Mais là nous sommes dans le rêve, dans l’idéalisme. Il faut sortir sur le terrain, comprendre le contexte et savoir à un moment être réaliste : penser à ce qui est faisable plus qu’à ce qui serait le mieux si l’on souhaite atteindre un jour notre idéal.
On ne change pas une société par un discours, tout comme on ne la change pas par un décret. Il faut un travail de fond, qui n’oublie pas l’objectif mais qui sait interagir avec le contexte national et international.
A l’échelle nationale, la monarchie parlementaire ne peut se réaliser sans partis politiques forts et efficaces. Chose que nous n’avons pas actuellement. Voilà pourquoi je pense qu’il faut maintenir la pression le 20 Mars mais se concentrer plus sur nos partis existants. Les pousser à faire leur 20 février interne pour être à la hauteur de la modernité qu’exige la jeunesse marocaine. La monarchie souhaite le changement, faisons acte et empruntons cette voie parce qu’il n’y a pas de démocratie sans représentativité parlementaire. Et il n’y a pas aucune crédibilité politique avec 34 partis politiques, c’est une entrave à toute transition démocratique. Ce pluralisme de vitrine vise à écarter le marocain lambda du paysage politique pour le convaincre que « la politique c’est trop compliqué » et qu’il s’en désintéresse. Alors que les idéologies politiques se comptent sur les doigts d’une seule main. Il faut au Maroc un nouveau code des élections (moudawanate lintikhabates) pour simplifier à tous les marocains, sans exception, leur rôle et les enjeux de la politique pour qu’ils puissent jouer convenablement leur rôle de citoyen. Cette mission incombe aux partis politiques et aux médias qui doivent organiser des débats nationaux télévisés pour vulgariser la politique. Il y a du travail à faire.
Le rôle des médias est fondamental, ils vont permettre d’écouter tout le monde : ceux qui pensent qu’il faudrait instaurer une primature comme transition entre la monarchie absolue et la monarchie parlementaire, ceux qui pensent que la monarchie parlementaire peut faire suite dès demain au régime actuel et même ceux qui voient le Maroc comme une république. Il ne faut pas avoir peur du débat d’idées, respectons nos intelligences, écoutons les arguments de chacun et donnons le dernier mot à la raison.
Les marocains voterons mal ? c'est un risque très probable vu que nous n’avons pas l’habitude de la pratique politique. Mais ils apprendront au fil des expériences électorales. Ils risquent d’élire des voleurs et des incompétents ? c’est une probabilité. Mais comme les institutions seront transparentes et les médias libres, tous les dépassements et les détournements seront dévoilés. Et comme la justice sera indépendante, tous les corrompus aux postes de commande devront répondre de leurs délits devant la Cour. Les médias sont considérés comme le 4eme pouvoir parce qu’ils sont une institution dissuasive pour tout responsable opportuniste et permettront autant aux citoyens qu’aux responsables d'apprendre ensemble la pratique de la démocratie au fil des mandats.
Il est donc indispensable que les médias audiovisuels cassent leurs chaines. Je ne suis pas de ceux qui croient en la révolution 2.0. Facebook est une excellente plateforme de partage d’idées et d’opinions qui peut rassembler des contestataires mais elle ne permettra jamais d’organiser le débat politique qui permettra de faire murir les réflexions et les faire converger vers un projet commun. Sur ces social network les informations fusent et vont dans tous les sens, chaque jour connait la création de nouveaux groupes de discussion et des idées naissent chaque semaine, des initiatives aussi diverses que contradictoires qui arrivent à rassembler quelques dizaines de marocains chacune et ne au final que nous diviser et donc nous affaiblir. D’autant plus que sur ces sites sociaux, nous ne savons pas à qui nous avons affaire : il y a beaucoup de profils mais très peu d’identités, ce qui rend la manipulation facile. Voilà pourquoi je ne pense pas que le Maroc se construira sur Facebook.
Si l’organisation incombe aux médias, l'animation du débat politique est le rôle des partis politiques et des élites intellectuelles. Parce qu’il est indispensable que les réflexions se fassent autour d’écoles de pensée pour qu’elles soient constructives et non pas que chaque petit groupe se lance dans des initiatives minoritaires et donc inefficaces. Un mouvement qui se fixe comme objectif la chute du Régime ne doit présenter au Pouvoir aucun interlocuteur car il ne cherche pas à négocier, mais se doit d’être un mouvement de masse monolithique ; alors qu’un mouvement qui se veut réformiste a besoin de leaders, de voix écoutées qui permettent d’orchestrer la reconstruction et la négocier. Moulay Hicham me semble être le bon leader dont a besoin le mouvement du 20 février et cela pour plusieurs raisons : son choix réaffirmera la volonté réformiste du mouvement qui ne vise pas la famille alaouite mais qui souhaite la voir accompagner le changement, il sera le parfait interlocuteur parce que d’un coté il tient un discours représentatif des attentes de la jeunesse marocaine et de l’autre il a l’éducation, le statut, l’art et la manière de s’adresser au Roi.
Sur le plan international, pour comprendre la crise marocaine actuelle, il faut remonter quelques décennies en arrière. Le délabrement actuel est le fruit des 30 dernières années du règne de Hassan II où le Maroc a opté pour des choix budgétaires catastrophiques (principalement pour le renforcement de l’armée censée résoudre le problème du Sahara) qui ont eu un cout terrible en matière de développement humain (taux de scolarisation, accès aux soins, chômage..). D’autant plus que ces choix budgétaires ont lourdement endetté le Maroc auprès du FMI (Font Monétaire International) qui imposera au royaume ses célèbres « politiques d’ajustement structurels » qui ne profitent qu’aux puissances mondiales.
Il ne faut pas perdre d’esprit que de nos jours, et grâce à la mondialisation, rares sont les Etats souverains, surtout dans le tiers-monde. Le Maroc, comme toute l’Afrique, n’est pas un Etat indépendant économiquement et donc politiquement. Voilà pourquoi la bataille actuelle pour l’instauration d’une démocratie chez nous ne sera que le premier chapitre d’un long et accablant combat de résistance aux pressions internationales. Il ne faut pas que cela nous décourage, mais plutôt qu’il nous ralentisse dans notre course aveuglée derrière nos droits spoliés. Nous devons réfléchir sérieusement à l’avenir et donc à quelle politique étrangère allons nous opter, qu’allons nous faire de cette dette ? Faut-il faire comme les pays d’Amérique latine (l’Equateur, l’Argentine, le Paraguay..) qui ont refusé de payer leurs dettes à la Banque Mondial et au FMI qu’ils jugeaient illégitimes ? Quelles alliances allons-nous envisager pour pouvoir contrer l’Empire du Capital néolibéral ? repenser au projet du Grand Maghreb, s’allier aux pays d’Amérique latine, à la Chine, aux nouvelles démocraties arabes qui arrivent.. sont des éventualités auxquelles il faut réfléchir.
L’un des points encourageants est que le Roi Mohammed VI s’est éloigné depuis son intronisation de tous ces chefs d’Etat voyous qui règnent dans les contrées voisines et Moyen-orientales en gardant le minimum de relations diplomatiquement correctes, il est donc bien vu par leurs peuples avec qui nous devront négocier des alliances futures. D'autant plus qu'il s’agit d’un Roi jeune, moderne et qui a su se montrer favorable au changement, je pense qu'il saura mener le Maroc a bon port et en faire l'un des rares pays souverains au Monde.
Voilà pourquoi je pense que nous sommes aujourd’hui capables d’imposer la démocratie chez nous et de la protéger de tous les vautours du néolibéralisme planétaire grâce à la création de nouveaux contre-pouvoirs.
En résumé, le Roi devra opter pour l’interactivité, briser ce fossé qui sépare la monarchie de la rue et entamer des réformes radicales qui garantiront au Maroc un nouveau départ, sur de nouvelles bases démocratiques. Ce n’est que là que l’on pourra parler d’exception marocain car nous serons le premier pays arabe à réussir sa transition démocratique sans faire couler de sang.Le Maroc devra se détourner de ses alliés d’autres fois, sauf si ces derniers (France et USA principalement) souhaitent des échanges d’égal à égal, et se tourner vers de nouvelles coalitions qui protégeront son intégrité.
Il ne devra plus se fier aux recommandations de ses conseillers actuels - dont les valises sont déjà prêtes pour quitter le Maroc vers leur 2eme "nation" - dont ils ont déjà le paseport- au cas où ça pète chez nous. Il devra désormais s'entourer de personnes honnêtes, intègres et intelligentes et surtout tenir les promesses de son discours du 9 mars. Nous avons en mémoire le "Je vous ai compris" de De Gaulle, puis sa décision, suite aux grèves de Mai 68, de lancer un référundum que français attendent à ce jour.
Le courage, c’est certes aller vers l’idéal mais il est aussi la compréhension du réel et des enjeux. Et j'espère que des 2 cotés, des manifestants comme du Pouvoir, on écoutera la voix de la Raison pour qu'on emprunte tous le chemin de la Paix.
Pourquoi il y a cet acharnement sur le titre de commandeur des croyants ?
Déjà j’aimerai répondre à M. Benkirane du PJD qui a prétendu sur une chaine télévisée arabe que cette qualité sacrée remontait à des siècles au Maroc voilà pourquoi la quasi unanimité des marocains y sont attachés (alors qu’aucun référendum n’a été organisé dans ce sens à mon connaissance). Le titre de commandeur des croyants n’a été adopté au Maroc qu’à l’époque de Hassan II, ses ancêtres jusqu’à son père Mohammed V portaient le titre de Sultan. Cette décision, sur la proposition de Abdelkrim Al Khatib (fondateur du PJD), Allah Al Fassi (Istiqlal) et avec l’appui de quelques conseillers de De Gaulle, se verra constitutionaliser en 1962. Ce titre protégera le trône en conférant au Roi une légitimité sacrée, d’ordre divin et rendant donc toute décision royale incontestable, au dessus des lois humaines et donc au dessus de la démocratie.
En démocratie, si l’on veut échapper à la critique, il faut s’éloigner du pouvoir. Il faut donc choisir entre la sacralité et la démocratie : c’est l’eau et l’huile, elles ne se mélangeront jamais. Et c’est l’une des contradictions du dernier discours royal qui a voulu insister sur les deux.
Ce titre ne date donc pas de si loin et sa légitimité est contestée puisqu’il servait la politique autocratique de l’époque. D’autant plus que l’entourage royal s’en sert comme bouclier à chaque fois que l’on ose contester une de leurs décisions : « c’est la volonté royale ! » clos tout débat démocratique.
Que penses-tu de Mohamed Aliouine ?
Que n’a-t-on pas dit sur Aliouine ! Je ne peux que respecter son vécu, partager son désarroi et saluer son courage. On peut diverger sur les moyens, on peut diverger sur la façon et la méthode, mais nous sommes mobilisés pour la même cause : un Maroc meilleur à l’avenir. Mohamed Aliouine, il y en a des milliers au Maroc ; et c’est pour ne pas dire des millions. Il fait partie de cette majorité marocaine, minoritairement représentée. Les internautes marocains s’emballent sur des pourcentages et des proportions de participations à des groupes de discussion sur Facebook pour extrapoler sur l’avis des marocains, mais ils oublient qu’il existe un peu plus de 3 millions de profils facebook marocains (selon Socialbakers) mais que nous sommes plus de 35 millions de marocains, soit 32 millions non représentés sur la toile. Il existerait un peu plus de 600.000 abonnements internet au Maroc, c’est pour dire la représentativité du service de communication le plus rapide au monde chez nous. Même le discours royal du 9 Mars n’aurait été suivi que par 5 millions de téléspectateurs selon Maroc Metrie. Mohamed Aliouine c’est la voix de cette écrasante majorité non représentée. Cela fait mal au cœur à certains nantis de l’entendre parler, tant mieux. Il est temps qu’ils réalisent qu’il existe au Maroc des marocains qui n’ont pas eu ni leur éducation ni leurs privilèges. Et cette majorité marginalisée et silencieuse peut très bien, du jour au lendemain, se soulever pour réclamer son pain. Et j’ai un doute que ceux là optent pour un freeze dans un espace publique comme moyen de contestation. Ces marocains ont mal à leur tête, mal dans leur chair et mal dans leur poche. Ils ne vivent de rien, ils n'ont donc rien à perdre. Les jeunes du 20 février nous auront prévenu.
J’aimerai en profiter aussi pour dire un mot sur les MRE en général, et qui selon certains internautes locaux, n’auraient le droit à la parole que s’ils rentrent. Voulant par là insinuer qu’ils seraient moins marocains que ceux bordés par nos frontières. Ces marocains là, parce que je les ai côtoyé, sont bien plus patriotes que beaucoup de marocains de l’intérieur. Ils ont un amour démesuré pour leur pays, l’ont quitté à contre cœur et leur principale activité sur le net est de suivre ses nouvelles. Partir n’était pas une démission, mais un sacrifice. Et leur quotidien le prouve, ils se tuent au travail et se privent de beaucoup de plaisirs simples parce qu’avec l’argent durement gagné ils entretiennent des familles au Maroc. Les frais médicaux de leurs parents, les frais de scolarité de leurs frères et sœurs, les factures et les crédits de la famille. Ils sont près de 3 millions et leurs transferts de devises représentent plus de 10% du PIB marocain. Contrairement aux investisseurs étrangers qui ne payent pas d’impôts chez nous et qui rapatrient leurs gains, nos MRE n’ont d’yeux que pour le Maroc avec des transferts de fond qui dépassent les 60.000 millions de dirhams en 2007. C’est à ces personnes là que l’on veut interdire de discuter de l’avenir du Maroc ? Ils sont plus investi pour le développement de leur pays que ces jeunes navrants qui osent remettre en question leur patriotisme.
N’as-tu pas peur de dire tout cela ? de prendre une position aussi contestée parce que le moins que l’on puisse dire c’est que tu ne caresse pas dans le sens du poil !
Je te mentirai si je te répondrai que non. Oui, j’ai peur. Même très peur parce que «3ziz 3liya le7mi» comme on dit. Mais en même temps j’aurai du mal à me regarder dans le miroir si je n’avais pas défendu mes convictions aà l'heure où nouvelle page de l’Histoire du Maroc s'offre à nous. Et je suis déçu de mes conpatriotes qui refusent de participer à sa rédaction. Je pense que la dignité est plus importante que la vie, pour la simple raison que la vie sans dignité n'est pas une vie. Ne comprend pas par là que j’en appelle aux démarches suicidaires. Cela est le propre de ceux qui n’ont rien à perdre, moi je pense plutôt que nous avons tous quelque chose à y gagner. Je suis donc pour l’héroïsme d’un peuple et non pour le sacrifice de quelques martyrs.
Est-ce que je tiendrai le même discours si je me retrouvai dans un commissariat où une bande de policiers vont « m’apprendre la politesse » (pour reprendre leur réplique favorite : gha n3elmok trabi), je n’en sais rien. D’ici là, dans le confort démocratique que m’offre la toile, je m’exprime librement en restant fidèle à ma pensée que je suppure depuis quelques années déjà sur ce blog.
Je n’écris pas pour les convaincus. Ni même pour les opportunistes qui vont tout faire pour maintenir le statu quo au Maroc; j’écris pour essayer de mobiliser l’immense majorité qui se situe entre les 2, qui a du mal à se faire une idée claire sur ce qui se passe parce qu’on l’a habitué à ce qu’on pense à sa place.
Dans l'attente de lendemains qui chantent, nous oublions de vivre le seul espace qui nous est réellement offert et qui est aujourd'hui. " Ainsi nous ne vivons plus, nous espérons de vivre " disait Pascal. Alors que nous devons vivre, ici et maintenant, et lutter. Aller à la conquête du Ciel, parce que lorsqu'on veut nettoyer des escaliers on commence par le haut. Il faut arrêter de maquiller notre lacheté par une soit-disant sagesse passive et habiller nos intérêts personnels par le vêtement de la Patrie. Nous voulons vivre aujourd'hui. Nous avons eu notre lot de marchands de rêve et notre avenir n'est plus à vendre.
Aujoud'hui, nous sommes le 20 Mars.